ECLATS (suite)

Trois matériaux, le marbre, l’ardoise, et aujourd’hui le métal, ont successivement fourni à Jacky Besson la texture même de son œuvre. La blancheur du marbre dans les année 80 lui a permis de nous offrir des sculptures hyperréalistes représentant des "drapés". Plus tard, d’autres qu’il a nommées des "lieux sacrés". Dans les années 90, la noirceur de l’ardoise, l’a amené à faire jaillir du sol des spectres pétrifiés, tous intitulés "Pieux". Le marbre venait des carrières toscanes de Carrare, l’ardoise, extraite des schistes angevins, était utilisée par les vignerons du terroir. Quant à la matière ouvragée ici, du métal, elle n’est pas le résultat d’une simple extraction du sous-sol, elle a subi une longue transformation humaine et naturelle.
Il s’agit d’éclats de bombes récupérés au pied d’un pont de chemin de fer qui enjambe la Loire : le Pont de l’Alleud. En 1944, les Alliés détruisaient les ponts dans une France encore occupée.

En été, lorsque les eaux de la Loire se font plus rares, il arrive encore qu’elles mettent à jour des restes des bombardements. Ce sont ces déchets que Jacky Besson va récupérer.

Cette violence fondatrice marque un point de départ de l’œuvre actuelle de l’artiste. Ce point de départ, ça n’est pas la vie, mais la mort. Avec ses marbres ou ses ardoises le sculpteur se mesurait aux dieux, aux forces telluriques ; avec le métal, il subit la violence des hommes. Avec les bombardements, l’homme s’est substitué aux dieux. Bien sûr la matière récoltée n’est pas fraîchement sortie des usines de guerre, elle a déjà perdu de sa force initiale puisque la Loire l’a absorbée dans son lit, érodée, corrodée. Elle y a mis du temps : une soixantaine d’années. C’est cette fusion primitive, contenue pendant des années par les eaux du fleuve, que va capter l’œuvre de Jacky Besson.

 

Pourtant ça n’est pas le passé qui nous est représenté ici, chaque fragment, ou plutôt chaque sculpture, nous inscrit dans un présent, nous dit le présent. Le métal sous cette forme est moins malléable que la pierre : arraché à l’histoire, à la Seconde Guerre mondiale, passé par l’atelier de l’artiste, il nous parle d’une modernité à jamais figée. Il s’altère ou plutôt s’enrichit sous l’effet de l’air et de l’eau. Et là le projet du sculpteur peut justement jouer des altérations, des rouge-orangé de l’hydroxyde de fer.

Regardons la poitrine zébrée de rouge de la corrosion, la tête sans visage de "l’homme qui marchait" ou bien encore l’éclat ponctuellement, mais violemment sanguinaire, qui nous envahit de mal-être de "Rwanda 94". Le coup de force de l’artiste est, selon nous, qu’avec ces éclats de bombes l’œuvre nous parle du monde d’aujourd’hui avec sa violence transcontinentale (l’Orient ou l’Afrique), sans la pesanteur de certaines œuvres dites engagées. Ça n’est pas un message bien-pensant qui nous est livré, ce sont les œuvres elles-mêmes qui témoignent des fractures du monde. Les «Témoins» 1 et 2 sont suspendus au vide de leur fenêtre. La série "hommes qui marchaient" survit en claudiquant vers nous.

Cette étape du cheminement artistique de Jacky Besson, nous livre au ressenti de chaque sculpture, sans nous faire sombrer dans le larmoyant ou l’apitoiement de la mauvaise conscience. Les profils des "gène-râle", bustes campés sur leur socle, sont pleins de retenue : c’est là retrouver la puissance de l’art.

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